Patrice Talon : L’homme qui semble avoir toutes les cartes en mains
Patrice Talon recherche la clé de la Marina |
L’entrée en scène de
Patrice Talon ébranle les supposés favoris
de la course à la Marina. Après avoir cravaché dur en mai 2015 pour
faire échec à l’élection du candidat du pouvoir à la tête de l’Assemblée
nationale, il saigne des quatre veines pour ne pas rater lui-même l’échéance
présidentielle. Le « compétiteur né » comme il se fait appeler,
a-t-il vraiment toutes les cartes en mains pour succéder à son « meilleur
ennemi », Boni Yayi ?
Remporter l’issue de la présidentielle 2016 est une question
d’honneur pour Patrice Talon. A ce titre, il joue à quitte ou double pour
parvenir à ses fins. Dans cette présidentielle, il a chevillé au corps la
posture d’un personnage énigmatique. Véritable charmeur, le magnat du coton
brise à chacune de ses sorties l’illusion de certains qui le considèrent comme un vulgaire
homme d’affaires incapable de porter et de soutenir des idées. Nombre de ses
compatriotes en effet attendaient la « télécommande » des acteurs
politiques sur le terrain de la distribution de l'argent à tour de bras, et dans
la foire de ceux qu’on considère à tort
ou à raison comme les grands électeurs. Mais ce ne fut pas le cas. Pourtant,
l’homme -quinzième fortune de l’Afrique francophone subsaharienne, selon le
classement de FORBES-Afrique édition novembre 2015- dont Boni Yayi assurait
qu’un pour cent de sa fortune sauverait le Bénin, semble avoir le carnet de
chèque suffisamment lourd pour se lancer dans cette opération.
Natif de Ouidah et d’une mère issue de la famille Guèdègbé
d'Abomey -une des grandes familles de cette ville-, Patrice Talon est marié à
une femme native de Porto-Novo et père de deux enfants.
Derrière ses 58 ans, le mécène traditionnel de la classe
politique béninoise dispose d’une grande capacité d’écoute et d’un sang froid
déconcertant. Ses proches le qualifient de fieffé « politique non
partisan ». Bien que Patrice Talon n’ait pas un grand niveau intellectuel,
il dispose tout de même d’une très bonne culture et d’une intelligence
au-dessus de la moyenne.
Cet entrepreneur jadis incontournable dans les secteurs clés
du coton et du Programme de vérification des importations semble bénéficier
plus de l’estime des populations du sud-Bénin dont il est originaire. On lui
reconnait également une capacité de mobilisation dans les autres contrées du
pays, notamment au nord du pays grâce sa réputation du « roi du
Coton ».
Talon a du talent
Pour s’être hissé à la tête d’un empire financier qu’il a
bâti- patrimoine estimé à 400 milliards FCFA-, il faut faire preuve d’une
extrême rigueur et de talent. Dans son entourage, on laisse croire que l’homme
dispose du don de transformer tout ce qu’il touche en fortune. Aura-t-il cette
baraka en politique ? Tout compte fait, le chantre du « Nouveau
départ »-titre de son projet de société- a réussi à se faire une force
électorale en se montrant comme grand adversaire de Yayi.
Pendant longtemps, Patrice Talon a réussi avec adresse à se
faire passer pour la plus grande victime du régime Yayi pour avoir été obligé à
l’exil pendant trois ans en France. Or dans bien des cas, les victimes
supposées ou réelles, bénéficient généralement au Bénin de la compassion des populations.
Autour de la cohérence
de son projet de société, Patrice Talon se positionne comme l’un des
plus sérieux prétendants à la Marina qui propose une offre politique
convaincante. Ce qui laisse penser qu'il a une excellente méthode de travail et
une approche assez singulière.
Le roi déchu du coton bénéficie également de la grâce d'avoir
changé le mode opératoire politique. Patrice Talon est en effet l'un des rares
candidats sinon le seul à faire mettre
en place une organisation à l'américaine. Pour la plupart du temps, l’homme
s’adresse directement à ses concitoyens afin de se mettre dans leur estime.
Avec des bureaux de représentation dans l'ensemble des 546 arrondissements du pays, la mobilisation
autour de son idéal fait de lui un
redoutable challenger. A tout le moins, Patrice Talon est un homme de talent
qui se fait entourer de gens extrêmement compétents dans leur domaine. Ces
derniers le présentent sous l’affiche d’un homme très intelligent et bien
structuré.
La victime qui rêve
grand
Dans un contexte politique marqué par un fort sentiment de
rejet du système Yayi, Talon et son équipe arrivent à jouer la carte du référendum
en faisant passer la présidentielle comme un vote sanction anti-yayi. C'est en
réalité en surfant sur cet avantage, qu'il se présente comme celui qui incarne
le mieux la rupture. D’ailleurs, avec d’autres candidats, ils ont crée la
coalition dite de la « Rupture ». La matérialisation de la volonté de
neutraliser les capacités de nuisance de Lionel Zinsou, candidat de l’alliance républicaine-
PRD-FCBE-RB et alliés.
Au demeurant, il faut faire observer que c’est sous
l’impulsion et le soutien remarquable du magnat du coton que l’opposition
d’alors avait réussi à contrôler le bureau de l’Assemblée nationale contre la
volonté des FCBE et de leur chef. Cet exploit, s’il en est un, les partisans de
Patrice Talon le martèlent pour présenter leur joker comme candidat capable de
faire échec à Boni Yayi et ses affidés qui portent la candidature du
franco-béninois, Lionel Zinsou. Pendant que les partisans de Lionel Zinsou
enfourchent la trompette du KO, les ouailles de Talon ne jurent que
par son impossibilité. D’où une certaine sérénité et assurance de leur
part pour avoir été les concepteurs de ce KO historique de 2011. Dans cette
posture, sa candidature risque d’être dérangeante pour le camp adverse si et
seulement si, Patrice Talon prend de l’avance sur Sébastien Ajavon.
Homme de la rupture ?
Il est un fait que sur la foi des réformes politiques qu’il
propose dans son projet de société, par exemple la révision constitutionnelle
pour réduire le mandat présidentiel à un seul, le renforcement de la séparation
des pouvoirs et la diminution du pouvoir du président de la République, Patrice
Talon incarne une excellente voix de rupture.
Mais sa sincérité pourrait être mise en doute pour son rôle actif
en 2006 et en 2011 avec le fameux KO. Certains n'ont pas oublié que c’est lui qui avait financé en 2011 ce régime qui était devenu la tête de
turc d’une bonne partie du peuple. Il l'aurait fait afin de récupérer en 2011
la gestion du Programme de vérification
des importations (PVI-Nouvelle génération).
Sur un autre angle, la difficulté de la candidature est liée
au fait qu’elle ne se repose absolument
pas sur des partis politiques. Cela pourrait être un grand handicap dans la
mesure où même pour la présidentielle, les électeurs s'identifient d'abord par
leurs leaders locaux. En d'autres termes,
le vote est d'abord régional. Peut-être
que la présidentielle de 2016 prouvera le contraire.
Le duel Talon-Yayi en
vue… ?
Patrice Talon a bonne conscience du rôle déterminant que
jouera son meilleur ennemi, Boni Yayi, dans cette présidentielle. De
l'organisation du scrutin en passant par la publication des tendances et la proclamation
des résultats par la Cour constitutionnelle, l’ombre de Boni Yayi hantera
sérieusement le sommeil de son ancien ami. Boni Yayi agitera les affaires de
coup d'Etat et d'empoisonnement, que Talon lui-même qualifie de canular, pour
mettre les bâtons dans les roues à l’ancien roi du coton. Au demeurant, le chef
de l’Etat continue de croire qu'il est la victime dans ces affaires même si la
justice n'a véritablement pas pu les éclairer définitivement. A ce titre, le
président Yayi essaiera de les utiliser
pour dire aux électeurs que Talon lui en a voulu du mal. Ce sera de ce point de
vue un combat de gladiateurs où tous les coups semblent permis. Selon le
président Yayi, la candidature de Talon est une candidature de vengeance et en
tant que tel, il en fait une affaire personnelle et déploie tout ce qui est en
son pouvoir pour faire échec au projet. Mais à plusieurs reprises, au cours de ses town hall
meetings, Patrice Talon s’efforce de rassurer ses probables électeurs que leur vote ne sera
pas volé et qu'il y veillera personnellement.
A la lumière des accords qui ont sanctionné le retour sans
tambour ni trompette de Talon au bercail, certains Béninois continuent de nourrir
un scepticisme quant aux relations entre les deux hommes. Talon n'est-il pas un
plan (A ou B) de Yayi? Comme ce dernier était le plan A de Kérékou en 2006?
L'avenir nous le dira. Mais en attendant, Talon doit trouver le code secret indispensable
pour déjouer toutes les velléités négatives contre sa candidature afin de
remporter la timbale au soir du scrutin présidentiel.
*(Cet article a été rédigé depuis janvier
dernier. A défaut de vous trouver la version revue, je vous offre ceci avec toutes mes excuses.)
Commentaires
Enregistrer un commentaire